lundi 21 avril 2008

Drogues : Savoir plus – risquer moins, ou : l’obscurantisme du gouvernement conservateur du Canada

Il y a quelques années, était publié en France un livre d’information sur les drogues, leurs effets et les risques pouvant découler de leurs usages : « Drogues : Savoir plus - risquer moins ».
Cet ouvrage d’information, publié par la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (MILDT) était destiné à fournir au grand public une information fiable, basée sur l’évidence scientifique.
En partant du principe que les individus sont en mesure de gérer leur propre santé, dès lors qu'ils bénéficient des informations requises pour le faire, et que la prévention de l’usage de drogue problématique passe, entre autres, par une information objective et équilibrée; cette initiative visait à responsabiliser, à permettre de faire des choix éclairés et à réduire les risques et les méfaits.
Cet ouvrage étant reconnu pour sa pertinence et sa qualité, en 2001, le Comité permanent de lutte à la toxicomanie (CPLT) décidait d’en adapter le contenu au contexte québécois et procédait, par la suite, à l’édition d’une version anglophone ainsi qu’à une mise à jour des informations. Après la dissolution du CPLT par le gouvernement Charest, le Centre québécois de lutte aux dépendances (CQLD) publiait la troisième édition de l’ouvrage.
C’est ainsi que, distribué à plus de 200 000 exemplaires, « Drogues : Savoir plus – risquer moins » est devenue une référence incontournable au Québec, en matière d'information et de prévention de l’usage problématique de stupéfiants, tant pour les professionnels que pour le grand public.

Ainsi, l’ancien gouvernement fédéral, d’allégeance libérale, commandait quelque 500 000 exemplaires du bouquin, destinés à être distribués gratuitement aux jeunes canadiens. À 2 $ l’unité, la facture se montait à 1 million de dollars canadiens.

Radio-Canada nous apprenait hier que le gouvernement conservateur de Stephen Harper, avait, malgré le montant de la facture, décidé de ne pas distribuer les 500 000 exemplaires qui sont stockés depuis un an déjà. Le gouvernement juge en effet le contenu de l'ouvrage, pourtant basé sur des faits scientifiques, trop ambiguë (il décrit entre autres les sensations agréables que peuvent procurer certaines drogues) et nuancé (il ne met pas assez l'accent sur les dangers de la consommation et la nécessité de ne pas consommer ou d'arrêter de consommer).

Quand, en tant que citoyen, on sait que le gouvernement conservateur a fait de la prévention l’un des piliers de sa nouvelle stratégie antidrogue et que, dans un même temps, celui-ci décide de mettre sur les tablettes un ouvrage pour la simple raison que celui-ci ne présente pas uniquement, à grand renfort de messages inspirant la peur, les effets délétères des usages de drogues; on est en droit de se demander si nos taxes sont judicieusement utilisées.

Ce n’est en effet pas la première fois que le gouvernement conservateur de Stephen Harper démontre au grand jour qu’en matière de drogue, entre autres, il privilégie une approche idéologique, basée sur des principes moraux, plutôt que sur l’évidence scientifique, aussi criante soit-elle.
Aussi, malgré tous les résultats remarquables que pourront donner les études scientifiques je crois qu'il ne faudra pas s’étonner de voir notre gouvernement progresser à grands pas dans le démantèlement méthodique de la politique de réduction des méfaits qui était celle du Canada en matière de drogue.

La non-diffusion de « Drogues : Savoir plus - risquer moins », qui, entendons-nous, est une forme de censure, ce qui est un comble pour un gouvernement qui se targue de vouloir être transparent, nous laisse en effet clairement entrevoir le sort qui sera ultimement réservé aux projets de site d’injection supervisé et de traitement avec prescription d’héroïne que nous tentons de défendre avec des arguments scientifiques.
Mais au-delà de ça, que doit-on craindre?
Interdira-t-on la distribution gratuite de seringues afin de ne pas inciter, par ce biais, à l’usage de drogues par voie intraveineuse?
Préférera-t-on aux traitements de substitution, l’une des interventions médicales dont l’efficacité est la mieux documentée, des stratégies de soin ayant pour objectif l’abstinence pour tous, même si tout porte à croire que cela est impossible?

Compte tenu du faible poids politique qu’ont actuellement, les associations d’usagers de drogues et les professionnels en toxicomanie, que peut-on faire pour que le Canada revienne à un politique pragmatique en matière de drogue? N’avons-nous plus qu’à espérer que les dérives conservatrices, qui, de moins en moins subtilement, tentent d’indiquer aux canadiens la voie morale qu’ils doivent suivre, finissent par inciter la majorité de l’électorat à s’engager sur une voir plus progressiste?

Éric Fabrès*
* Ces propos n'engagent que leur auteur.

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