mardi 9 octobre 2007

Que comprendre de la nouvelle Stratégie canadienne antidrogue

Depuis son dévoilement, le 4 octobre dernier, la nouvelle stratégie antidrogue du gouvernement Harper n’a cessé de défrayer la chronique, plus vivement critiquée par les uns que par les autres.
Bien que l’on n’en connaisse pas encore tous les détails, on sait d’ores et déjà que cette stratégie s’appuiera sur trois axes principaux : le traitement (32 millions de dollars), la répression (21 millions) et la prévention (10 millions). En effet, tel que l’on pouvait s’y attendre compte tenu des positions idéologiques exprimées précédemment par le gouvernement à cet égard, les mesures visant à la réduction des méfaits liés aux usages de drogues, sont complètement absentes de la nouvelle stratégie gouvernementale.
Or n’en déplaise à monsieur Harper, les coûteuses mesures répressives, certes nécessaires pour limiter le trafic international laissé aux mains du crime organisé, n’ont jamais permis de réduire suffisamment l’offre de drogues pour avoir un impact significatif en termes de diminution de l’usage. La prohibition a plutôt eu des effets délétères sur la qualité des drogues disponibles ainsi que sur leurs conditions d’acquisition et d’administration, conduisant les usagers à s’exposer à des risques accrus. En effet, depuis le début du 20e siècle, les sociétés occidentales se sont organisées pour interdire production, trafic, détention et même usage de nombreuses drogues et ce, sans grand succès. Le bilan de la prohibition est malheureusement assez clair : depuis la première législation sur le trafic de l’opium en 1908 au Canada, l’usage de drogues n’a cessé de croître à l’échelle mondiale et les différentes lois nationales et conventions internationales qui ont suivi n’ont à peu près rien changé à cet état de fait. Aussi, est-il permis de douter de la pertinence d’investir 21 millions supplémentaires pour des mesures que l’on sait, dès le départ, inefficace. De plus, il est bon de rappeler que le gouvernement Harper nous propose d’instaurer des peines d’emprisonnement systématiques pour punir les délits en matière de stupéfiant. Or, nos prisons débordent déjà! Est-il nécessaire de les surcharger un peu plus pour incarcérer des petits revendeurs de drogues, lorsque l’on sait que le coût d’une incarcération est environ de 60 000$ par année?
L’investissement de 42 millions en traitement et prévention est bien entendu, a priori, une bonne nouvelle. Toutefois, une question de taille demeure : quelle sera la nature des programmes de soin et de prévention que ces sommes vont permettre de mettre sur pied. Si l’on se fie à la teneur des propos du premier ministre qui veut mettre le Canada « sur le chemin de la guérison », il est fort probable que les programmes qui découleront de ces annonces soient fortement teintés par les attentes gouvernementales visant l’abstinence comme objectif thérapeutique pour tous et, en termes de prévention, la diffusion de messages sensibilisant les jeunes sur les dangers et le caractère illégal de l’usage de la marijuana et du cannabis.
À ce chapitre, certains vont prétendre que la mise en œuvre des projets de soin et de prévention sera confiée à des organismes indépendants et reposera sur les données scientifiques récentes. Or, si l’on se fie à l’attitude du gouvernement du Canada dans le dossier d’Insite, le site d’injection supervisé de Vancouver, il est raisonnable de penser que seuls les projets adhérant à l’idéologie gouvernementale seront financés et ce, quelle que soit la nature des données probantes.
Pour finir, il est déplorable de constater que de façon purement arbitraire le gouvernement actuel écarte du revers de la main l’approche de réduction des méfaits qui pourtant, preuves scientifiques à l’appui, contribue de façon importante à l’amélioration du niveau de santé des usagers de drogues et par là même, à la promotion de la santé publique.
L’usage de drogues fait partie de la vie des êtres humains que nous sommes et nourrir l’espoir de l’éradiquer relève de la plus douce utopie, fut-elle à caractère sécuritaire. Ne pas consommer de drogues est très certainement la seule façon de me pas s’exposer aux risques qui peuvent en découler et devenir abstinent est très certainement la seule solution pour ne plus s’exposer à ces risques lorsque l’on a développé une dépendance. Cependant, compte tenu de divers facteurs biopsychosociaux, nous ne sommes pas tous égaux face à cette réalité. En raison de cette inégalité, certains développent des dépendances et ne sont pas en mesure de cesser leur usage de drogues, du moins pas dans leur contexte de vie actuel.
Si je comprends bien la logique du gouvernement Harper, un pays riche et moderne comme le Canada, devrait se désolidariser de ses citoyens les plus vulnérables et les condamner à s’exposer aux risques liés à leurs usages de drogue puisqu’ils ne sont pas en mesure d’y renoncer. Par ailleurs, si pour financer leur consommation, ces mêmes personnes ont recours à la revente de drogues, on n’hésitera pas à les envoyer en prison ce qui devrait les « guérir » de leurs maux. Avec tout l’effroi que cela suppose, cette position me renvoie à celles adoptées au début du siècle par les ligues de tempérance. Quel recul!

Pour conclure, au regard de l’interventionnisme vertueux du gouvernement Harper en matière de lutte à la drogue, je m’étonne de son inaction s’agissant de limiter le phénomène croissant qu’est l’abus de médicaments d’ordonnance et autres drogues légales. En effet, la nouvelle stratégie antidrogue semble focaliser sur l’abus de drogues illégales alors qu’en matière de santé publique, le problème de l’abus de substances légales (alcool, tabac, etc.) et de médicaments détournés de leur usage thérapeutique est, de loin celui qui a le plus d’impact en termes de coûts sociaux, de mortalité, de morbidité, etc.